Interview de Boukovski, ancien dissident soviétique emprisonné 12 ans

18 juin, information provenant de Gordonua.com

J’ai fait la grève de la faim bien des fois. Sentsov en est à son 36ème jour. La grève de la faim la plus longue que j’ai faite n’a duré que 30 jours. C’était en 1973. Tous les prisonniers du camp s’étaient mis en grève de la faim et nous l’avons tenu tout un mois et ne l’avions arrêté qu’après avoir obtenu gain de cause.

Pourquoi la machine répressive soviétique avait alors fait des concessions aux prisonniers ? Non seulement nous nous étions mis en grève de la faim, mais nous avions réussis à passer l’information à l’extérieur, et de là en Occident. Les radios étrangères ont largement couvert la grève de la faim dans les geôles soviétiques. A l’époque le pouvoir n’aimait pas que l’on fasse du bruit qui le présente sous un mauvais jour, d’autant que nos revendications étaient évidentes : un homme était mort, s’étant vidé de son sang, il n’a pu être sauvé parce qu’il n’y avait aucune aide médicale, pas d’infirmerie, pas de chirurgien. Le pouvoir a fait des concessions, une infirmerie a été créée pour notre groupe de camps, avec du matériel médical nécessaire. 
 
A notre époque, d’après les instructions internes du Ministère de l’Intérieur, on commençait à nourrir de force à partir du moment où se faisaient nettement sentir la décomposition de l’organisme. Je parle de l’odeur d’acétone, et pas seulement l’haleine, elle se dégage de tout le corps. A un moment donné durant la grève de la faim, s’enclenche un processus qu’en médecine on appelle la néoglucogenèse. C’est lorsque votre organisme, à la recherche d’aliment, se met à dévorer vos propres muscles, et comme effet secondaire, on a la production d’acétone. Le délai est variable et dépend de l’organisme de chacun. Mais d’habitude l’odeur est perceptible vers le 14ème-20ème jour. Nourri de force on peut survivre assez longtemps, mais l’impact sur l’état de santé est important.
(...)

Il y a un cas où un prisonnier politique est allé jusqu’à la fin [Boukovsky reprend ici les termes utilisés par Sentsov dans sa déclaration d’entrée en grève de la faim : "Ensemble et jusqu’au bout"]. C’est ainsi qu’est mort Anatoly Martchenko qui avait exigé la libération de tous les prisonniers politiques soviétiques. En 1986, sa mort a fait une forte impression dans le monde, elle a beaucoup fait bouger les choses. L’URSS a fait des concessions. Je comprends pourquoi Oleg Sentsov demande qu’on ne tente pas de le dissuader de faire la grève de la faim. Je comprends et je respecte sa position. On considérait chez nous amorale de vouloir dissuader quelqu’un qui faisait une grève de la faim, autrement vous affaiblissez sa position, vous amoindrissez ses forces, dont il a tant besoin pour la victoire. Je souhaite à Oleg d’avoir de la force et du succès dans son combat. J’aimerais beaucoup le rencontrer un jour. Mais pour cela on ne doit pas laisser le thème Sentsov quitter les unes, il faut continuer à lutter quelle que puissent être les circonstances.

Vladimir Boukovsky

Traduction : Oleg Pliouchtch