J’ai fait la grève de la faim bien des fois.
Sentsov en est à son 36ème jour. La grève de la faim la
plus longue que j’ai faite n’a duré que 30 jours. C’était en
1973. Tous les prisonniers du camp s’étaient mis en grève de la
faim et nous l’avons tenu tout un mois et ne l’avions arrêté
qu’après avoir obtenu gain de cause.
Pourquoi la machine répressive soviétique avait
alors fait des concessions aux prisonniers ? Non seulement nous
nous étions mis en grève de la faim, mais nous avions réussis à
passer l’information à l’extérieur, et de là en Occident. Les
radios étrangères ont largement couvert la grève de la faim dans
les geôles soviétiques. A l’époque le pouvoir n’aimait pas que
l’on fasse du bruit qui le présente sous un mauvais jour, d’autant
que nos revendications étaient évidentes : un homme était
mort, s’étant vidé de son sang, il n’a pu être sauvé parce
qu’il n’y avait aucune aide médicale, pas d’infirmerie, pas de
chirurgien. Le pouvoir a fait des concessions, une infirmerie a été
créée pour notre groupe de camps, avec du matériel médical
nécessaire.
A notre époque, d’après les instructions internes
du Ministère de l’Intérieur, on commençait à nourrir de force à
partir du moment où se faisaient nettement sentir la décomposition
de l’organisme. Je parle de l’odeur d’acétone, et pas
seulement l’haleine, elle se dégage de tout le corps. A un moment
donné durant la grève de la faim, s’enclenche un processus qu’en
médecine on appelle la néoglucogenèse. C’est lorsque votre
organisme, à la recherche d’aliment, se met à dévorer vos
propres muscles, et comme effet secondaire, on a la production
d’acétone. Le délai est variable et dépend de l’organisme de
chacun. Mais d’habitude l’odeur est perceptible vers le
14ème-20ème jour. Nourri de force on peut
survivre assez longtemps, mais l’impact sur l’état de santé est
important.
(...)
Il y a un cas où un prisonnier politique est allé
jusqu’à la fin [Boukovsky reprend ici les termes utilisés par
Sentsov dans sa déclaration d’entrée en grève de la faim :
"Ensemble et jusqu’au bout"]. C’est ainsi qu’est mort
Anatoly Martchenko qui avait exigé la libération de tous les
prisonniers politiques soviétiques. En 1986, sa mort a fait une
forte impression dans le monde, elle a beaucoup fait bouger les
choses. L’URSS a fait des concessions. Je comprends pourquoi Oleg
Sentsov demande qu’on ne tente pas de le dissuader de faire la
grève de la faim. Je comprends et je respecte sa position. On
considérait chez nous amorale de vouloir dissuader quelqu’un qui
faisait une grève de la faim, autrement vous affaiblissez sa
position, vous amoindrissez ses forces, dont il a tant besoin pour la
victoire. Je souhaite à Oleg d’avoir de la force et du succès
dans son combat. J’aimerais beaucoup le rencontrer un jour. Mais
pour cela on ne doit pas laisser le thème Sentsov quitter les unes,
il faut continuer à lutter quelle que puissent être les
circonstances.
Vladimir Boukovsky
Traduction : Oleg Pliouchtch
Source : http://gordonua.com/publications/vazhno-uchastvovat-v-akciyah-v-podderzhku-sencova-ne-tolko-chtoby-on-vyshel-zhivym-eto-nuzhno-prezhde-vsego-nam-s-vami-bukovskiy-i-gluzman-o-tom-kak-spasti-politzaklyuchennyh-251400.html